L’anthropomorphisme, c’est le fait d’attribuer des caractéristiques strictement humaines, ou de projeter notre propre expérience d’une situation, sur un animal non-humain ou un objet. La communauté équestre est depuis quelques années plutôt au fait des risques de ce biais cognitif et les mises en garde sont nombreuses.
C'est une excellente chose. Ou peut-être, pas toujours ?
Une étude de 2012 a mis en évidence qu’utiliser des descriptions anthropomorphiques rendaient les humains plus volontaires à venir en aide à des chiens en état de stress. Sans grande surprise, ces descriptions ont généré plus d'empathie que les textes purement descriptifs et factuels.
De manière générale, s’il est établi que l’anthropomorphisme peut nuire au bien-être d’un animal au quotidien, il est aussi en lien avec une sensibilité accrue au bien-être animal et aux droits des animaux.
Le risque de trop se prémunir contre l'anthropomorphisme et donc de rejeter la possibilité d’une expérience du monde commune entre l’humain et le cheval, c'est aussi risquer de tomber dans un manque d'empathie. Notre perception humaine n'est pas totalement à côté de la plaque quand il s'agit de comprendre les émotions du cheval. Nous partageons avec le cheval un cerveau de mammifère, qui, si il est évidemment différent, partage aussi beaucoup de similarités.
Les circuits de la peur, de la récompense, les effets de la dopamine ou de l'ocytocine (le neurotransmetteur du lien social), sont très semblables chez l'humain ou chez le cheval.
On ne peut donc pas dire : si j’ai peur dans une telle situation, alors mon cheval va avoir peur. Par contre, on peut se rappeler de comment on a vécu la dernière situation où on a été terrifié, se rappeler de comment on s’est senti déboussolé, paralysé, incapable de penser et à quel point ça a été dur quand quelqu’un nous a répondu “Oh arrête un peu, c’est vraiment débile d’avoir peur de ça”. A quel point ça peut paralyser encore plus, ou au contraire, générer de la colère et une envie de se protéger. De forcer l’autre à comprendre que si, notre situation est grave.
Sur base de ce ressenti-là, on peut mettre en place une réaction saine pour aider le cheval qui a peur, car ce dont on a besoin dans ces situations, c’est souvent la même chose : être guidé, rassuré, recevoir de l’aide pour revenir au calme progressivement.
En 1992, une autre étude a tenté d’établir que les pratiques anthropomorphiques des propriétaires de chiens augmentent la prévalence des problèmes de comportement. Or, c’est l’inverse qui a été observé. Néanmoins, les pratiques analysées dans cette étude viennent plutôt de l’acceptation que les animaux et nous partageons une certaine expérience du monde, plutôt que du transfert brut d’activités et de besoins purement humains.
Regarder une rencontre violente entre deux chevaux et hausser les épaules en disant "C'est normal, il ne faut pas faire d'anthropomorphisme, ils font ça entre eux, même si c’est violent il ne faut pas regarder ça avec nos yeux d’humain", c'est faire preuve d'un manque d'empathie. Si tu te lèves demain matin et que tu trouves un inconnu dans ton canapé qui t’annonce “salut, à partir de maintenant, je vis ici !”, je doute que ta première réaction soit d’aller lui faire un café pour lui souhaiter la bienvenue.
Certes, deux chevaux féraux peuvent, dans des circonstances spécifiques, avoir des rencontres violentes. Mais en dehors de ces circonstances, ces mêmes comportements sont rares.
Regarder ces deux chevaux domestiques et dire "c'est normal", c'est ignorer leur état de stress et le fait que "normal" pour un cheval ne signifie pas d'être obligé de cohabiter dans un espace restreint avec un individu qui ne fait pas partie de son groupe familial. Une intégration ça se prépare et ça peut prendre du temps.
Si ton ressenti te dit : ce cheval a mal, a peur, est stressé... C'est peut-être vrai. Qu'est ce que l'humain fait quand il a mal ? Il se prostre, réduit ses mouvements, ses interactions. Qu'est ce qu'on fait quand on a peur ? On sursaute, on met de la distance, on cherche à comprendre. Qu'est ce qui se passe quand on est stressé ? On subit les effets du cortisol, le rythme cardiaque augmente, on cherche le soutien de nos proches.
C'est pareil pour le cheval.
Une saine dose d'anthropomorphisme, ce n'est pas dire "j'ai froid, donc mon cheval a sûrement froid", c'est dire "j'observe que mon cheval est ronchon, réactif, mal à l'aise quand je touche son dos ou que je lui demande de bouger, moi je réagis parfois comme ça quand j'ai froid, alors je vais lui mettre une couette pour cette nuit et voir si ça change quelque chose à ce que j'observe et partager ces observations avec mon vétérinaire, même si j'ai lu sur Facebook qu'un cheval n'avait pas besoin de couverture".
Ou encore, se rappeler que même si l’humain a évolué pour parcourir de très longues distances à pieds (et qu’il en est toujours capable), nous sommes tous globalement trop gras et trop sédentaires pour soudainement partir faire un trek de 3 heures avec 15% de notre poids sur le dos sans avoir de sérieuses courbatures le lendemain. Donc aller faire “juste une balade” avec un cheval qui glande au pré depuis 6 mois, même si c’est une grosse bête, c’est pas forcément une bonne idée.
“L’anthropomorphisme critique, c’est l’application consciente de l’anthropomorphisme en tant qu’étape préliminaire pendant le développement d’une hypothèse à tester ou en faisant une inférence prudente à propos de l’expérience mentale d’un animal.” (Fiedler et al, 2024)
Références:
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Butterfield, Max E., Sarah E. Hill, and Charles G. Lord. “Mangy Mutt or Furry Friend? Anthropomorphism Promotes Animal Welfare.” FlashReport. Texas Christian University, Department of Psychology, Fort Worth, TX. First received October 21, 2011; revised January 25, 2012; published online February 21, 2012.
Fiedler, Julie M., Margaret L. Ayre, Sarah Rosanowski, and Josh D. Slater. “Horse Sector Participants’ Attitudes towards Anthropomorphism and Animal Welfare and Wellbeing.” Animals (Basel) 14, no. 17 (August 26, 2024): 2482. https://doi.org/10.3390/ani14172482.
Mota-Rojas, Daniel, Chiara Mariti, Andrea Zdeinert, Giacomo Riggio, Patricia Mora-Medina, Alondra del Mar Reyes, Angelo Gazzano, Adriana Domínguez-Oliva, Karina Lezama-García, Nancy José-Pérez, and Ismael Hernández-Ávalos. “Anthropomorphism and Its Adverse Effects on the Distress and Welfare of Companion Animals.” Animals (Basel) 11, no. 11 (November 15, 2021): 3263.
Servais, Véronique. “Anthropomorphism in Human–Animal Interactions: A Pragmatist View.” Frontiers in Psychology 9 (2018): 2590.
Voith, Victoria L., John C. Wright, and Peggy J. Danneman. “Is There a Relationship between Canine Behavior Problems and Spoiling Activities, Anthropomorphism, and Obedience Training?” Veterinary Hospital of University of Pennsylvania, 1992. Accepted January 21, 1992; available online July 18, 2005.