
Imagine tu participes à un rassemblement, une garden party ou un festival, une de ces situations où un tas de gens discutent avec plein d’autres, un peu alcoolisés parfois, moyennement au fait des ressentis de chacun.
Tu as une conversation courtoise avec quelqu’un que tu connais vaguement. Cette personne est un peu plus enthousiaste que toi et envahit peu à peu ton espace personnel. Sans méchanceté, sans intentions, juste… C’est envahissant.
Tu recules. Ça tient deux secondes. Puis ce nouvel espace qui vous sépare est comblé à nouveau. Tu recules encore. Et ça recommence.
Techniquement, tu as du choix.
Tu peux toujours reculer, un pas, puis deux, puis trois. Mais franchement, est-ce que ce choix il t’aide à mieux te sentir ? Est-ce que ce choix, il te donne le sentiment d’être écouté ? Est-ce que la possibilité de dire “Bon en fait, je vais aller chercher à boire” (alors que ton verre est à ¾ plein), c’est une perspective qui va améliorer ta relation avec cette personne ?
Et si, ton interlocuteur, peut-être après un pas ou deux, marquait une demi seconde de pause, réalisant enfin ce qui se passe et … cette fois, vient honorer la distance que tu imposes ? Sans commenter, sans critiquer, juste une prise de conscience, un regard qui dit “pardon, j’ai compris” et une action silencieuse qui la suit.
Comment tu te sentirais vis-à-vis de cette personne ?
Je suis convaincue que pour les chevaux, il en va de même. Le cheval est une espèce sociale qui ne cherche pas le conflit, mais l’éviter en quittant une situation, c’est aussi une forme de rupture. Devoir prendre action et signifier “Notre interaction ne me convient pas, je choisis de m’en aller” c’est prendre le risque de voir le conflit émerger. Surtout avec l’humain, nos objectifs, nos besoins, nos convictions. Et ça, nos chevaux le savent bien.
J’ai pris l’habitude, et je le conseille souvent à mes élèves, de toujours reculer avec une magnitude plus importante que le signal que le cheval me donne. S’il détourne la tête, je fais un pas. S’il recule d’un pas, je recule de trois.
“Je t’ai entendu. Ce que je fais, ou ce que je représente en ce moment pour toi est trop complexe à gérer, alors je vais te donner de l’air”.
Les avantages de cette pratique
- En reculant alors que le cheval ne bouge pas encore, je renforce négativement le fait qu’il soit resté.
- En reculant alors que le cheval bouge, je crée plus rapidement la distance dont il a besoin. Si c’est à 5 pas qu’il est à l’aise… Il va atteindre son but en ne reculant que de deux pas (parce que je bouge vite ehe). Donc en pratique, le comportement est affaibli par rapport à ce qu’il aurait été si je n’avais pas bougé
- En reculant, dans tous les cas, j’évite une augmentation de l’intensité. Détourner la tête mène à un pas en arrière, qui mène à une menace, qui mène à une morsure… Si je me suis déjà éloignée, le cheval n’a aucune raison d’aller dans l’escalade
- Et surtout, je donne au cheval un moyen simple de revenir dans l’interaction
Apprentissage vs Gestion de nos erreurs
Quand j’évoque cette pratique, on me répond souvent :
“Mais non !! Tu apprends au cheval à s’éloigner !! Tu ne peux reculer que quand il ne bouge plus !!”
La différence, de mon point de vue, c’est que si j’ai mal estimé la situation et que j’ai causé une réaction de fuite à un cheval… J’ai merdé. Il ne s’agit plus de lui apprendre quelque chose, il s’agit de ne pas empirer ce que je viens de faire.
Si tu continues jusqu’à ce que le cheval se soit immobilisé, afin de ne pas “renforcer la fuite”, tu joues au jeu dangereux de qui est prêt à aller le plus solidement au conflit. Quand la fuite ne fonctionne pas, on peut arriver dans l’inhibition… mais aussi dans l’attaque. Moi j’ai fait mon choix il y a longtemps. Un cheval c’est dangereux, et je n’ai absolument aucune envie d’entrer dans un conflit ouvert avec un cheval. Aussi, parce que si tu refuses de risquer de “renforcer la suite”... tu peux te retrouver au tapis après une ruade, et tu as “renforcé” bien pire que 2 pas de côté.
Quand j’ai passé la ligne, je prends le temps de réévaluer. S’il le faut, j’arrête ma séance, et j’y reviens un autre jour. Dans tous les cas, je traite cet élément de fuite comme une information importante dans mon plan d’entraînement ou de rééducation. Si, lors des répétitions suivantes, je ne cause plus de fuite… alors je ne prends pas le risque de la renforcer non plus. Et donc je peux renforcer les comportements qui conviennent, et au final, c’est surtout ça qui compte.