LIFE, c’est quoi ?

LIFE, c’est quoi ?

Vendredi, Septembre 12, 2025

Un cadre éthique pour compléter et affiner notre pratique de la (ré)éducation

Les cadres éthiques en comportement

LIFE, c’est un cadre d’éthique. Même si chaque personne est libre de choisir son propre cadre, et que l'activité de comportementaliste n’est pas régulée, ces cadres “nommés” permettent aux pratiquants qui partagent les mêmes valeurs et les mêmes principes de se regrouper. L’humain aime bien mettre les choses dans des boîtes avec des petits noms bien clairs.

Si vous vous êtes un peu intéressés à la science du comportement, vous avez probablement entendu parler de LIMA (Lindsey 2001) ou de la Hiérarchie Humaine (Friedman 2008) qui se concentrent sur les processus d’éducation et de modification comportementale, mais aussi des 3F (Fraser 2012) ou des 5 Domaines du Bien-Être Animal (Mellor 2007). Tous ces modèles ont un même but : donner un cadre de référence et de réflexion pour améliorer le bien-être et nos interactions avec les animaux.

Tous ces modèles sont en constante évolution, car nos connaissances le sont aussi ! Nos pratiques sont elles aussi vouées à évoluer et à s’améliorer et c’est pour cette raison que le Dr Fernandez a présenté LIFE en 2023.

Image tirée de Fenandez 2023 montrant l'évolution des modèles d'entraînement et de bien-être animal

Comprendre LIFE: la fonction

Commençons par la deuxième partie de l’acronyme : FE pour “Fonctionnellement Efficace”. Ce jargon très scientifique remet en avant une logique prise par l’analyse comportementale appliquée : identifier la fonction d’un comportement. En langage simple : un comportement, ça sert à quoi ?

Prenons l’exemple d’un cheval qui mord au sanglage. Souvent, les descriptions de ces comportements vont être liées à l’interprétation humaine de la situation : il a mal, il te teste, il se fout de toi, il ne veut pas être monté… Si certaines de ces interprétations peuvent être valides, aucune ne met en avant le pourquoi le cheval mord.

Le cheval mord au sanglage, car il veut t’empêcher de sangler. Les causes profondes peuvent être multiples, mais la fonction est simple. Arrêter d’essayer de sangler suffit à éviter que le cheval ne morde. Evidemment, ça ne réglera pas un problème d’ulcères ou de mal de dos, mais d’un point de vue comportemental, c’est suffisant pour ne plus se mettre en danger.

C’est de cette façon qu’il faut comprendre l’idée de “fonction” dans le modèle LIFE et dans notre application de la modification comportementale. Avant de faire faire ce que nous voulons au cheval, il faut se préoccuper de ce que lui, il veut.

Comprendre LIFE: l'inhibition

La première partie de l’acronyme veut dire “le moins inhibant”, ou plus simplement (mais plus long) : qui ne cherche pas à faire taire l’expression de l’animal. C’est cette partie qui peut-être la plus difficile à appliquer, particulièrement dans le monde équin où les approches basées sur la dominance et le leadership sont encore nombreuses.

Reprenons notre exemple du cheval qui mord au sanglage : inhiber la morsure, ce serait d’attacher le cheval trop court pour qu’il puisse se tourner et mordre, ou lui mettre un coup de coude dans le nez. Ces approches veulent faire taire l’expression du cheval  en l’écrasant ou en la rendant impossible.

“Le moins inhibant” est évidemment un point de vue qui n’est pas entièrement objectif, mais celui-ci nous donne aussi un peu de liberté d’action, notamment pour préserver la sécurité de l’humain. Par exemple, si ce même cheval a besoin d’être ausculté par un vétérinaire pour comprendre la raison de sa morsure… L’attacher trop court pour qu’il puisse mordre peut-être une façon, certes inhibante, de l’aider dans le futur (même si, comme toute les approches inhibantes, le comportement risque de s’exprimer d’une autre façon, par exemple avec un coup de pied). 

Dans une approche LIFE, on donne donc le droit, autant que possible, au cheval d’exprimer ses comportements.

Non mais les limites dans tout ça ?

LIFE est un modèle de modification comportementale. Ca veut dire qu’il nous guide dans nos choix de plans d’entraînement et de rééducation pour amener un cheval à se comporter différemment. Suivre LIFE, ça ne veut donc pas dire qu’on va laisser le cheval mordre à tout jamais, et ne plus jamais tenter de le sangler !

Cela signifie qu’on va tenter d’amener le cheval à changer son comportement, progressivement, et d’une façon qui respecte son besoin originel. Dans le cas du cheval qui mord au sanglage, une fois que toutes les hypothèses de douleur ont été écartées par un vétérinaire, on va pratiquer une rééducation qui respecte le choix du cheval de ne pas être sanglé s’il ne le veut pas, et qui évite de générer le comportement de morsure.

Selon le cheval, la situation, d’éventuelles contraintes de temps, et les compétences du propriétaire, la façon dont on va aborder ce problème va être différente. Le but est d’amener le cheval à accepter d’être sanglé, sans jamais le mettre dans une situation où l’envie de mordre lui revient. Dans une situation telle que celle-là, on peut procéder en renforcement positif, par contre-conditionnement, avec une approche type CAT, une désensibilisation systématique, … 

Tous les consultants en comportement vont avoir leurs approches préférées, selon ce qu’ils aiment le mieux enseigner, leurs expériences, leur lecture du cheval en question, et les désirs de l’humain.

LIFE ou LIMA ?

Dr Fernandez a défini LIFE notamment dans un souhait de faire évoluer le monde du comportement au-delà de LIMA. D’une part, parce que contrairement à l’idée reçue, le créateur de LIMA est favorable à l’utilisation des aversifs, d’autre part, parce que la pratique LIMA se définissait en réalité souvent sur base du schéma de la Hiérarchie Humaine.

Ce schéma met différentes pratiques d'éducation et de modification comportementale sur une hiérarchie, supposant que, par exemple, faire du renforcement positif c’était “mieux, plus humain, plus éthique” que faire du renforcement négatif.

En français, à partir du bas : Santé, Nutrition, Environnement Physique / Arrangements des antécédents / Renforcement positif / Renforcement différentiel de comportements alternatifs / Extinction, Renforcement négatif et punition négative / Punition positive

Si cette hiérarchie a beaucoup apporté au monde animal et à la pratique de la modification comportementale, elle reste cependant un peu détachée des contraintes de la vraie vie. Par exemple, si j’ai en face de moi un cheval qui a terriblement besoin d’être paré, et qui n’a jamais appris à donner les pieds. Est-il plus éthique d’enseigner à son gardien, qui maîtrise très bien le renforcement négatif, comment apprendre à son cheval à donner les pieds rapidement ? Ou est-il plus éthique de d’abord enseigner le clicker training à l’humain, enseigner le clic, le marqueur et la gestion de la récompense au cheval, puis de lui apprendre à donner les pieds ? Laquelle des deux situations amènera en premier un bien-être physique au cheval ?

Néanmoins, LIMA avait aussi l’avantage d’être extrêmement clair, notamment en priorisant les besoins fondamentaux de l’espèce, avant d’envisager toute pratique d’éducation. LIFE le sous-entend dans sa partie “le moins inhibant”, mais c’est à nouveau avec des exemples qu’on peut le mieux s’en rendre compte.

Imaginons un cheval qui “manque de respect” à son humain lors de la marche en main, trottine, dépasse et met des coups de tête. Les causes peuvent être multiples, mais si ce cheval vit au box h24, 7/7, il est probable que le problème soit, au moins en partie, dû à un effet rebond et à un besoin réprimé de se déplacer librement et d’utiliser son énergie. Éduquer ce cheval à se comporter “avec respect”  serait donc une intervention inhibante et fonctionnellement inefficace, car elle ne répond pas à la problématique primaire du cheval : se déplacer au pré avec des copains. Peu importe, dans ce cas, que l’apprentissage soit fait en renforcement positif ou négatif !

Mon point de vue

Bien que j’enseigne majoritairement la pratique du clicker training, et donc du renforcement positif, j’ai bien conscience qu’il ne s’agit pas de l’outil qui convient à tous, et dans toutes les situations !

Particulièrement lors d’accompagnements pour résolution de problématiques comportementales, après évaluation avec votre vétérinaire si besoin, et évaluation de votre cheval selon les 5 Domaines, nous choisirons ensemble les protocoles qui vous conviennent. Parfois, le renforcement positif sera la solution, parfois clarifier votre pratique du renforcement négatif suffira à atteindre les résultats dont vous avez besoin. 

Cependant, j’ai choisi LIFE pour une raison et étant membre de l’IAABC, je suis également liée par leurs standards de pratique. Je ne vous soutiendrai pas dans l’utilisation à long terme de pratiques aversives, inhibantes, des montées en phases ou des conflits émotionnels. Parfois, certaines de ces pratiques sont nécessaires à court terme, car c’est “tout ce qu’on a”, et qu’il faut pouvoir gérer les urgences. Mais mon but sera toujours de vous aider à les déconstruire et à évoluer vers d’autres solutions. Ça peut prendre du temps, et n’amener des résultats que plus tardivement que d’autres entraîneurs, avec d’autres pratiques. 

Chaque situation est unique, et j’ai à coeur de vous accompagner au mieux, progressivement, et selon vos besoins.

Références

LIMA framework (Steven R. Lindsay)

Lindsay, Steven R. 2001. Handbook of Applied Dog Behavior and Training. Vol. 2: Etiology and Assessment of Behavior Problems. Ames, IA: Iowa State University Press.

———. 2005. Handbook of Applied Dog Behavior and Training. Vol. 3: Procedures and Protocols. Ames, IA: Blackwell Publishing.

Humane Hierarchy (Susan G. Friedman)

Friedman, Susan G. 2008. “What’s Wrong with This Picture? Effectiveness Is Not Enough.” White paper. BehaviorWorks.org.

———. 2009. “Improving Animal Welfare and Honing Trainers’ Skills: Why Animals Need Trainers Who Adhere to a Procedural Hierarchy.” White paper. BehaviorWorks.org

3F (Lauren Fraser)

Fraser, Lauren. 2012. “The Horse’s 3 F’s: Friends, Forage, Freedom.” Blog post. Lauren Fraser Animal Behaviour & Welfare Consulting.

———. 2013. “The 3 F’s, Part Two.” Blog post. Lauren Fraser Animal Behaviour & Welfare Consulting.

Five Domains of Animal Welfare (David J. Mellor & C. S. W. Reid)

Mellor, David J., and C. S. W. Reid. 1994. “Concepts of Animal Well-Being and Predicting the Impact of Procedures on Experimental Animals.” In Improving the Well-Being of Animals in the Research Environment, 3–18. Glen Osmond, South Australia: Australian and New Zealand Council for the Care of Animals in Research and Teaching

Mellor, David J. 2017. “Operational Details of the Five Domains Model and Its Key Applications to the Assessment and Management of Animal Welfare.” Animals 7 (8): 60. https://doi.org/10.3390/ani7080060 

LIFE framework (Eduardo J. Fernandez)

Fernandez, Eduardo J. 2023. “The Least Inhibitive, Functionally Effective (LIFE) Model: A New Framework for Ethical Animal Training Practices.” Preprint. https://doi.org/10.31234/osf.io/b2r43 

———. 2024. “The Least Inhibitive, Functionally Effective (LIFE) Model.” Journal of Veterinary Behavior. https://doi.org/10.1016/j.jveb.2024.05.002 

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