Récemment, j’ai fait une expérience avec mon cheval. J’ai voulu tenter d’entraîner une routine en utilisant un renforçateur bien particulier…
Le contrôle.
Je devais lui appliquer une poudre sur le dos, sur une zone rendue sensible par la dermatophilose. Il m’a très vite fait comprendre qu’il n’aimait pas vraiment ça. Alors je lui ai donné le choix : si tu touches le paquet de poudre, je m’approche pour t’en mettre sur le dos. Si tu montres à n’importe quel moment le moindre signe que tu n’es plus à l’aise (reculer, report de poids, tête qui se relève, …) alors je recule et je ne fais rien.
Intuitivement, on pourrait se dire que je n’allais aller nulle part.
Pourtant, en trois séances de cinq minutes, j’ai pu faire mon soin sans soucis. Même dans des circonstances où il avait la possibilité de s’éloigner et d’aller manger du foin. Au début, je ne vais pas mentir, j’ai surtout joué à 1-2-3-piano (ou 1-2-3 soleil pour les lecteurs hors Plat Pays) sans jamais pouvoir m’approcher de son dos. Très rapidement pourtant, j’ai pu aller lui frotter la poudre dans le poil.
Qu’avait-il à y gagner ? Rien. Et il a participé quand même. A son rythme, selon ses propres critères. Tout comme ces derniers jours, il a choisi de prendre ses seringues de courgette et son vermifuge, quand bien même il avait à disposition des exercices plus agréables qui promettaient (cette fois) exactement la même récompense. Etait-ce le fait d’avoir du contrôle ? Ou l’envie de collaborer ? Ou ces deux éléments ensemble, renforcés par la curiosité de découvrir quelle serait la conséquence ? Motivé par l’effet rassurant de savoir qu’il ne serait forcé à rien qu’il n’était pas prêt à faire ?
Pourquoi cette question du contrôle est-elle importante ? Pour être considéré comme un renforçateur primaire, le contrôle devrait répondre à un besoin biologique, nécessaire à la survie de l’espèce. Nos comportements (et ceux des mammifères en général) évoluent constamment en réponse aux stimulus de l’environnement. On fait quelque chose parce que ça marche. Quand quelque chose ne marche pas, ou ne marche plus, on arrête de le faire et on apprend une autre stratégie. Avoir le choix, et donc contrôler la prochaine action que nous allons poser, en fonction de notre perception de la meilleure conséquence à obtenir serait, selon une étude parue en 2010, une des clés de l’évolution et de la survie d’une espèce. Sans choix, les comportements ne peuvent pas changer.
Cet apprentissage, c’est une façon de contrôler son environnement. Des chevaux laissés à proximité d’un interrupteur peuvent apprendre à allumer la lumière, montrant ainsi qu’ils préfèrent une écurie éclairée. Contrôler son environnement rassure, permet de mieux l’appréhender, de le modifier en fonction de nos besoins. Chez l’humain, le fait d’avoir un choix activerait les circuits du plaisir et de la récompense dans le cerveau, hypothèse qui n’a pas fait l’objet d’étude chez le cheval.
Quel est l’inverse du contrôle ? Le stress, puis la dépression et l’impuissance acquise, particulièrement quand l’absence de contrôle est synonyme d’incapacité à trouver une solution valable pour éviter du stress ou de l’inconfort. On a l’impression de subir ce qui nous arrive plutôt que le vivre activement. Malheureusement, c’est le cas de nombreux chevaux, dont les méthodes d’entraînement sont basées sur l’absence de choix.
Choix et contrôle sont intimement liés. Comme il n’y a pas de liberté sans choix, il n’y a pas vraiment de contrôle dans une situation de choix forcé : c’est-à-dire, une situation où seule une des alternatives permet l’accès à une conséquence critique.
Spontanément, on peut avoir tendance à se dire que c’est bien triste, mais qu’on ne peut pas y faire grand chose. On ne peut pas laisser le cheval choisir où il vit, ce qu’il mange, quel jour il travaille. On entend souvent des phrases comme “je paie la pension tous les mois, il peut bien travailler avec moi une heure par jour !” Comme si c’était une fatalité. Comme si le fait d’imposer le travail à nos chevaux était la seule façon de les amener à travailler avec nous.
Et si je vous disais qu’il existe des façons d’entraîner qui sont fondamentalement basées sur le fait de donner le contrôle au cheval ? Et que dans de nombreuses situations, à travers différentes espèces, des animaux ont démontré qu’entre travailler pour une récompense alimentaire et obtenir cette récompense alimentaire sans rien faire… ils choisissent de travailler pour l’obtenir ?
Les prochaines publications parleront d’approche constructionnelle (CAT-H) et de préférence pour le travail (contrafreeloading). Envie d’en savoir plus sur l’une avant l’autre ? Dites-le moi dans les commentaires !
Leotti, Lauren A., Sheena S. Iyengar, and Kevin N. Ochsner. "Born to Choose: The Origins and Value of the Need for Control." Trends in Cognitive Sciences 14, no. 10 (October 2010): 457-463. doi: 10.1016/j.tics.2010.08.001.McGreevy, Paul. Equine Behavior: A Guide for Veterinarians and Equine Scientists. 2nd ed. Edinburgh: Elsevier, 2012.