L'immersion

L'immersion

Mardi, Septembre 17, 2024

Aujourd’hui, j’ai envie de vous présenter Tempête. Tempête a vraiment peur des drapeaux autour des terrains de CSO, et me racontait récemment sa dernière conversation avec son psy.

(Evidemment, tout ceci est traduit. Le psy de Tempête est bien entendu un cheval, et les hennissements, ébrouements et autres mouvements d’oreilles ne sont pas très lisibles en publications Facebook. Et j’ai choisi de croire qu’entre eux, les chevaux se tutoient, voilà).

Le Psy: “Comment ça s’est passé ton épreuve, dimanche dernier ?”

Tempête : “Y avait encore plein de ces foutus drapeaux autour de la carrière ! Et ça claquait dans le vent, c’était horrible. J’ai pas pu m’empêcher de sursauter à chaque fois que j’en avais dans le dos. On a fait 8 points, et j’ai manqué de tomber dans le double…”

LP: “Aie, et il l’a pris comment ton humain ?”

T : “Il était super déçu… Il ne comprend pas pourquoi je suis autant sur l'œil en concours.”

LP: “Tu lui as dit que c’était à cause des drapeaux ?”

T: “Non, je n’ose pas vraiment… Je vois pas trop ce qu’il pourrait faire. Je sais bien que c’est pas rationnel, mais c’est plus fort que moi.”

LP: “Tu sais, les humains peuvent très bien nous accompagner pour affronter nos peurs. Ils ont plein d’objets à disposition, je suis sûr qu’il pourrait trouver un drapeau et t’aider à travailler là-dessus. C’est assez simple en vérité, si tu es plus souvent confronté à des drapeaux dans ton quotidien, à très petite dose, et dans des circonstances où tu te sens en sécurité, cela te mettra de moins en moins en alerte.”

T : “Tu penses qu’il serait d’accord de faire ça ? J’ai un peu peur qu’il ne comprenne pas à quel point ça me stresse.”

LP: “Mais bien sûr ! Les humains gèrent aussi les peurs de leurs petits et ils font ça très bien. Quand son fils avait peur de dormir dans le noir, ton humain lui a probablement laissé la porte ouverte avec la lumière allumée dans le couloir, ou il a mis une veilleuse dans sa chambre. Il lui raconte sans doute des histoires douces et rassurantes avant d’aller dormir et dans le noir, il lui fait de gros câlins pour le rassurer. Il n’a jamais enfermé son enfant dans la cave, dans le noir, en lui disant qu’il ne pourrait sortir que quand il aurait fini d’avoir peur ! Vraiment, ne t’inquiète pas, les humains savent très bien ce qu’est la désensibilisation systématique, ils en parlent constamment.”

T: “Oh mais tu as raison ! Je n’y avais jamais pensé comme ça. Je vais lui en parler !”

** Une semaine plus tard **

LP : “Alors avec ton humain ? Ca progresse petit à petit avec les drapeaux ?”

T : “J’ai pas très envie d’en parler…”

LP: “ ???”

T: “Ben je lui ai dit, il m’a dit qu’il était heureux d’enfin comprendre le problème, et que ce n’était pas grave, on allait faire de la désensibilisation. Il est allé chercher un drapeau, il l’a secoué près de mes flancs et j’ai pas pu m’en empêcher, je me suis écarté. Alors il a continué de le secouer, mais en résistant sur la longe pour que je ne puisse plus m’écarter. J’ai tiré, et il continuait, continuait avec ce drapeau … ! Je ne sais pas combien de temps j’ai tourné en rond, mais il a fini par arrêter.”

LP : “Mais pourquoi ?”

T: “Il m’a dit que si j’avais arrêté de bouger, il aurait arrêté de secouer le drapeau, et j’aurais arrêté d’avoir peur… Donc la séance d’après, j’ai vraiment pris sur moi, et il a arrêté avec le drapeau. Mais dimanche dernier, on avait encore un CSO”

LP: “Et ça a été mieux avec les drapeaux ?”

T: “Ben… Dès que j’avais peur, je me suis arrêté. Mais les drapeaux ont continué de bouger. Donc on s’est fait éliminer sur le 2, et mon humain était furieux. Il a dit que j’étais vraiment trop bête, et qu’à la maison, j’avais plus peur des drapeaux, donc y avait pas de raison d’en avoir peur en concours.”

LP: “Qu’est ce que tu lui as répondu ?”

T: “Je lui ai rien dit… Mais moi j’ai toujours peur, en fait.”

La thérapie d’exposition poussée à son extrême s’appelle couramment l’immersion. Elle part du principe que le cerveau (= le système nerveux sympathique) ne peut rester en état d’alerte pour une durée indéfinie, et qu’au bout d’un certain temps, le système nerveux parasympathique doit se réactiver et ramener l’être au calme. Lors de ce retour au calme, l’être aura compris qu’il n’est pas mort, et que sa peur était donc infondée. Cela demande un effort rationnel énorme, qu’il est presque impossible d’atteindre sans le consentement explicite du patient qui choisit d’affronter sa peur. Cela suppose aussi qu’il ait les clés pour gérer sa panique, tels que des techniques de respiration ou de pensées positives qui ont été solidement entraînées au préalable.

Car cette théorie ne prend pas en compte la façon dont l’être en question a vécu la situation et dont ses émotions ont profondément marqué cette expérience. La sensation de peur aura été intense, les tentatives de fuite représentent des risques de blessures (pour le cheval ou l’humain). Interrompue trop tôt, l’immersion laisse le patient (ou le cheval) dans un état de stress intense et a potentiellement rendu la peur encore plus saliente.

L’immersion suppose que le cerveau a été tellement dépassé par les événements, qu’il a dû crasher pour revenir à un état de base. C’est un peu la même chose qu’aller mettre le feu à la borne électrique du quartier pour interrompre l’alimentation parce qu’on ne se souvient pas quel interrupteur de la maison de vacances éteint la lumière de la salle de bain. Ok, le résultat est là, mais c’était peut-être un peu extrême.

Il n’y a toujours pas de consensus scientifique quant à savoir si les souvenirs de peur sont effacés, ou simplement inhibés. Il est établi que la peur risque de ressurgir, surtout quand le stimulus est présenté de façon inattendue ou dans un environnement différent de celui où le travail d’extinction de la peur a été fait (“spontaneous recovery” et “renewal”). Il a aussi été mis en évidence que si la peur est installée depuis plus longtemps, l’immersion sera moins efficace et/ou la probabilité augmente que le comportement de peur réapparaisse dans le futur, ce qui arrive souvent de façon violente et inattendue.

Finalement, on sait aussi que la dopamine joue un rôle dans l’extinction de la peur, et que son activation est bénéfique pour traiter des troubles d’anxiété. Si vous avez suivi ma série sur la dopamine dans les apprentissages, vous vous rappelez probablement que les stimulus fortement appétants provoquent des pics de dopamine plus importants… On pourrait donc supposer qu’ils sont des alliés de choix pour travailler sur les problématiques de peur… :-) 

Myers,  K. et al,  “Different mechanisms of fear extinction dependent on length of time since fear acquisition”: Learning Memory 2006 (13-2) 216-223. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1409828/ 

Salinas-Hernandez, X., Duvarci, S. “Dopamine in Fear Extinction”: Synaptic Neuroscience 2021(13).https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fnsyn.2021.635879/full 

McGreevy Paul: Equine Behaviour - A Guide for Veterinarians and Equine Scientists (2012)

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